Le CO₂ d’origine humaine laisse sa trace au fond des mers (in French)

Photo: NEON_ja / Wikimedia Commons

Après avoir perturbé la composition, la température et la dynamique de l’atmosphère, l’humain bouscule maintenant l’océan jusqu’aux profondeurs des abysses. Une étude publiée le 29 octobre montre pour la première fois que les émissions anthropiques de CO₂ dissolvent des minéraux dans les sédiments aux fonds des mers.

« On a découvert que le CO₂ émis par les humains acidifiait assez l’eau des océans pour dissoudre les sédiments qu’on retrouve au fond des mers », explique Olivier Sulpis, candidat au doctorat à l’Université McGill et premier auteur de l’étude.

Chaque année, environ le tiers du CO₂ que l’humanité envoie dans l’atmosphère est absorbé par les océans. Cette part du carbone ne contribue donc pas au réchauffement climatique, mais acidifie l’eau des océans. Les eaux plus corrosives dissolvent plus facilement la calcite (CaCO₃), le minéral blanc qui compose la craie ou les coquillages et qui se retrouve souvent dans les sédiments marins. La calcite qui s’accumule au fond des mers provient des coquilles de certains organismes planctoniques qui, à leur mort, tombent vers le plancher océanique.

Or, l’équipe canado-américaine qui a réalisé l’étude publiée lundi dans Proceedings of the National Academy of Sciences a constaté que, dans certaines zones des océans où la calcite s’accumulait auparavant, le minéral se dissout maintenant.

Pour arriver à ces résultats, les scientifiques ont testé la solubilité de la calcite dans différentes conditions en laboratoire, puis ont extrapolé leurs mesures aux conditions qui prévalent au fond des mers.

La zone où la dissolution causée par le CO₂ anthropique est la plus forte — elle y est doublée par rapport au niveau préindustriel — se trouve dans le nord-ouest de l’Atlantique, au large de la Nouvelle-Angleterre et des provinces maritimes canadiennes.

« L’Atlantique Nord est l’une des rares régions sur Terre où l’eau de surface plonge vers les abysses, explique Olivier Sulpis. La formation de glace de mer expulse le sel de l’eau congelée, et la saumure, plus dense, coule vers le fond. » Ce courant descendant convoie le CO₂ absorbé à la surface vers les fonds marins.

Les répercussions sur la faune et la flore sont pour l’instant incertaines, selon les auteurs. Toutefois, la dissolution de la calcite aura probablement peu de conséquences sur la vie sous-marine, qui est rare aux profondeurs étudiées.

À l’échelle planétaire, les zones où la calcite ne peut plus s’accumuler à cause du CO₂ d’origine humaine représentent 2 % de la surface totale des océans, ont constaté Olivier Sulpis et ses collaborateurs. Cette superficie peut paraître petite, mais, en fait, elle équivaut à celle de l’Australie, souligne le jeune chercheur.

Un effet tampon trop lent

En plus de laisser la marque d’homo sapiens dans la roche sédimentaire, la dissolution de la calcite a des impacts bien réels sur la chimie de l’océan. Pour chaque molécule de calcite dissoute, il y a environ une molécule de CO₂ qui est neutralisée. De quoi réduire la concentration de dioxyde de carbone dans l’eau et permettre aux océans d’en absorber davantage depuis l’atmosphère.

Sauf que l’échelle de temps sur laquelle s’opère la dissolution est bien trop longue pour que ce mécanisme compense nos émissions. « On émet du CO₂ beaucoup trop rapidement pour que la dissolution de calcite suive le rythme », précise Olivier Sulpis.

Dans certaines régions des océans, il faudrait des milliers d’années pour atteindre le nouvel équilibre entre le CO₂ et la calcite, même si on arrêtait les émissions tout de suite. « La circulation dans les courants abyssaux est très lente, il faut 2000 ans à une goutte d’eau du fond des mers pour aller toucher la surface. »

Alexis Riopel, Le Devoir, 29 October 2018. Article.


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