«Surprise» chez les océanographes: les océans absorbent de mois en moins de dioxyde de carbone (CO2). Car il y aurait moins de CO2 dans l’atmosphère? Non, tout le contraire. Les rejets des activités humaines augmentent et l’océan a de plus en plus de mal à héberger sa part de gaz carbonique. C’est ce que révèlent une étude publiée par des chercheurs de l’université d’East Anglia (Grande-Bretagne) dans le journal de la recherche en géophysique. Ces données sont nouvelles puisque les scientifiques ne s’intéressent aux échanges de gaz entre les milieux marins et l’atmosphère que depuis 10 ans. Jean Pierre Gattuso est directeur de rechercher CNRS à l’Observatoire Océanologique de Villefranche-sur-Mer. L’océanographe s’inquiète pour les équilibres écologiques des fonds marins…
Pourquoi dit-on que l’atmosphère absorbe du CO2?
Le CO2 est un gaz et il passe facilement de l’atmosphère à l’océan. Et vice-versa. Il y a constamment des échanges entre les deux. Les molécules de CO2 au contact de l’océan vont se dissoudre dans l’eau, le CO2 se transforme par réaction chimique en acide carbonique (H2CO3). Ce qui veut dire que l’océan s’acidifie. Et plus on rejettera du dioxyde de carbone, plus l’océan s’acidifiera.
Quand cette pollution de l’océan a t-elle commencé?
Dès que l’homme a commencé à fabriquer du CO2, au début de la révolution industrielle. Vers 1815. Entre les débuts de l’explosion industrielle et les années 1990, les océans ont absorbé la moitié du CO2 de l’atmosphère. Mais on remarque depuis le milieux des années 1990 que ce taux d’absorption a baissé. Les milieux marins ne consommeraient plus qu’un tiers du CO2.
L’océan arrive à saturation…
Oui. Dans certaines zones du globe, c’est le phénomène inverse qui se produit: l’océan rejette du CO2 vers l’atmosphère. Il y a un équilibre qui se fait. L’océan ne peut pas prendre tout le dioxyde de carbone à son compte. En 1800, on sait que le pH (1) était de 8,1. Puis il est descendu à 8. On considère que le pH de l’océan devrait atteindre le niveau de 7,7 dans les prochaines décennies. Encore plus acide donc.
Quelles sont les conséquences de ce changement de pH?
On commence à les découvrir. Les premières victimes de l’acidification sont les barrières de corail. Le CO2 en trop grande proportion va asphyxier et freiner voir tuer le développement des récifs coralliens. Dans les régions tropicales, les coraux ont une énorme importance car il protége les côtes de l’érosion sous l’effet des vagues et de la houle. Et il y a aussi le risque de faire disparaître les poissons qui vivent dans les récifs. La diversité des fonds marins est en jeu. Et trop de CO2 peut nuire à la reproduction de certaine espèces. Autre conséquence: l’acidification des océans ralentit le développement des huîtres et des moules, ce qui peut avoir d’énormes répercussions sur les économies locales.
Y a t-il des effets bénéfiques à ce transfert de gaz carbonique?
S’ils existent, les chercheurs ne les connaissent pas encore. Cela fait bientôt 10 ans que l’on s’intéresse à ces phénomènes. C’est assez nouveau pour nous. Une chose est certaine: le passage du CO2 atmosphérique dans l’océan dans des conditions normales a été une chance pour l’être humain. L’océan joue le rôle de régulateur du CO2.
Mais il y a des limites à cela?
Oui. Quoi qu’il en soit, les hommes doivent réduire les émissions de CO2 car il ne faut pas compter sur les océans pour prendre à sa charge tout le CO2 de l’atmosphère. Et donc régler le problème du réchauffement climatique. Si l’océan n’accepte plus d’absorber une part du dioxyde de carbone, cela forcement entraînera une augmentation de celui-ci dans l’atmosphère.
(1) Indicateur chimique d’une échelle allant de 0 (acide) à 14 (basique) mesurant l’acidité ou la basicité d’une solution. Plus on se rapproche de 0, plus une solution est acide.
Mohamed Najmi, 20minutes.fr, 22 October 2007. Article.